Entretien avec Leila Ghaffari, boursière BMO du CRIEM 2021-2022
Le Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises (CRIEM) a le grand plaisir d’accueillir la chercheuse en études urbaines Leila Ghaffari comme récipiendaire de la bourse postdoctorale BMO 2021-2022!
Architecte de formation, elle a effectué une maîtrise en design urbain et aménagement du territoire avant de réaliser un doctorat en études urbaines et aménagement sous la direction conjointe de l’Université de Tours et de l’UQAM. Son projet de postdoctorat aborde la redéfinition des tiers-lieux (tout espace de socialisation en dehors du travail et de la résidence) dans un contexte post-pandémique. En particulier, son projet porte sur le « retour à la normale » de ces espaces après le confinement. Pour sa recherche, elle a choisi d’étudier le quartier d’Hochelaga-Maisonneuve, particulièrement la promenade Ontario. Leila Ghaffari est également conseillère en habitation chez .
Qu’est-ce qui vous a attirée à Montréal? Pourquoi avez-vous décidé d’étudier cette ville?
« L’histoire de Montréal est extrêmement intéressante et riche pour les études urbaines. Elle a un passé ouvrier et a connu le déclin de ses quartiers périurbains, puis leur revitalisation. La ville que j’ai étudiée en France, Nantes, est comparable à Montréal avec son passé industriel. Elle aussi a connu un déclin urbain et une revitalisation. Il y avait donc des similitudes entre ces deux villes qui m’ont attirée à Montréal pour faire des comparaisons pour ma thèse de doctorat. »
Comment voyez-vous votre mandat en tant que boursière postdoctorale du CRIEM?
« En plus de réaliser le projet de recherche que j’ai proposé, je compte participer aux activités du CRIEM et à sa dynamique. Je ferai partie d’un réseau de chercheur·se·s travaillant sur des sujets similaires, donc je vois des possibilités de collaboration. J’ai très hâte de débuter! »
En tant qu’architecte, qu’est-ce qui vous fascine dans la dynamique urbaine?
« J’aime le côté créatif de l’architecture, mais j’ai observé que l’architecte est souvent au centre de l’idée qu’il ou elle développe, une vision qui ne fonctionne pas dans la ville et dans la société. Il faut avoir un regard plus global lorsqu’il s’agit d’un bloc, d’un quartier, d’une ville, etc. Je me voyais travailler à une plus grande échelle pour pouvoir comprendre les dynamiques qui influencent l’environnement bâti qui me passionne tant. Il était important pour moi d’avoir une compréhension plus coconstructive de l’environnement bâti et de prendre en compte la façon dont le perçoivent les habitant·e·s. Je ne me considère plus comme une architecte à proprement parler; je travaille dans le domaine des études urbaines et j’aime étudier le lien entre les gens et l’architecture. »
Comment vos expériences universitaires et professionnelles vous ont-elles inspiré un projet de recherche sur les « tiers lieux » et la relation entre les citadin·e·s et leur territoire ?
« La justice sociale est un sujet qui m’a toujours intéressé lorsque j’étudiais les villes. Lorsque je faisais ma thèse en design urbain en Iran, j’observais comment les gens se comportent dans les espaces urbains et je m’intéressais à la façon dont le design peut donner aux gens une certaine liberté et générer certains comportements. J’étais très intéressée par le côté “psychologique” de la ville. Lorsque j’étais en France, j’étudiais les politiques de cohésion sociale dans les petites et moyennes villes et comment elles affectent les populations vulnérables de ces territoires. Je me suis ensuite tournée vers les questions de logement. Je voyais le logement comme un aspect important de la justice sociale et spatiale. J’ai donc commencé à étudier la gentrification sous cet angle. J’ai choisi la gentrification parce que je voyais beaucoup de débats à ce sujet, mais pas de solutions. Il y avait un vide dans tout cela et j’ai pensé que nous devrions accepter que la gentrification existe, puis voir comment nous pouvons la gérer et contrecarrer ses aspects négatifs. J’ai décidé de travailler sur cette idée après avoir identifié cette lacune. J’ai commencé cette réflexion en France et je l’ai poursuivie au Québec. J’ai choisi ces deux endroits pour comparer deux contextes institutionnels différents. Pourquoi étudier les tiers lieux? J’ai observé dans mes recherches que la transformation des artères commerciales est très importante pour la gentrification. Dans certains cas, c’est ce processus qui déclenche la gentrification, comme dans Hochelaga-Maisonneuve. Il y a des lieux de rencontre, des commerces et des services dans ces artères commerciales qui disparaissent et sont remplacés par des lieux de rencontre, des commerces et des services qui répondent aux besoins d’une autre population. Les tiers lieux qui correspondent à une population ne sont pas les mêmes pour une autre. Enfin, j’ai vu que la pandémie a causé un choc qui a intensifié la transformation des tiers lieux. Et donc, j’aimerais étudier l’influence de la pandémie sur ces lieux pour différents types de population. »
Comment la vitalité des quartiers de Montréal se compare-t-elle à d’autres villes?
« J’ai participé à un projet de recherche sur la vitalité culturelle des quartiers montréalais dans trois quartiers de la ville : le Sud-Ouest, Rosemont–La-Petite-Patrie et Côte-des-Neiges. Pour moi, Montréal est une mosaïque de vitalités différentes selon les quartiers et leur population. Par exemple, Côte-des-Neiges est un territoire qui accueille les immigrant·e·s et sert de lieu de passage et d’ancrage. Lorsque les immigrant·e·s arrivent à Montréal, Côte-des-Neiges est un refuge où il·elle·s peuvent se rencontrer tout en s’adaptant à leur nouvelle ville. Le Sud-Ouest, par exemple, a un passé ouvrier qui a construit son identité. Hochelaga-Maisonneuve a aussi un passé industriel, c’est un quartier qui a connu un déclin et une revitalisation par sa population. Le milieu communautaire est, à mon avis, le point fort du territoire montréalais et ce qui distingue Montréal des autres villes que j’ai étudiées. Les acteur·rice·s communautaires sont très important·e·s. À Nantes, par exemple, la présence des associations est très forte, mais les acteur·rice·s communautaires ne sont pas aussi forts. C’est très spécifique au Québec et cela le rend très fort en termes de demandes citoyennes. Montréal est une ville avec une très forte vitalité culturelle, avec une dynamique citoyenne qui est soutenue et parfois menée par le secteur public. »
En quelques mots, comment décririez-vous la métropole à des non-Montréalais·es?
« Vitalité culturelle, vie communautaire et mosaïque de quartiers. »
En quoi consiste une journée parfaite à Montréal selon vous?
« Ma journée parfaite commencerait avec un café dans mon quartier. Ensuite, je ferai une promenade à travers les quartiers péricentraux de la ville. Dans le Sud-Ouest, par exemple, ou dans Hochelaga-Maisonneuve. Vers la fin de la journée, j’irais me poser sur une terrasse. »
À propos de Montréal…
Quartiers préférés : Saint-Henri, Hochelaga-Maisonneuve, Plateau-Mont-Royal
Ouvrages d’études urbaines et d’architecture : Montréal : la cité des cités (Juan-Luis Klein et Richard Shearmur [dir.], 2017) et Angus : du grand capital à l’économie sociale (Gaétan Nadeau, 2020)
Symboles incontournables : La tour du Stade olympique, le Plateau-Mont-Royal et ses triplex, le canal Lachine, le parc du Mont-Royal, le patrimoine industriel en général, les universités de la ville et les terrasses.