Il faut contrôler la consommation débridée, selon Speth
La saison de la grippe est à nos portes, mais selon le militant
environnementaliste James Gustave Speth, un fléau bien pire nous
guette, l'opulenza, une souche virale de consomanie qui pourrait se
révéler fatale pour notre planète si nous ne la contrôlons
pas.
Invité à prononcer la Conférence Beatty 2008 devant une salle
comble au Centre Mont-Royal le 18 octobre 2008, le doyen de la
Faculté de foresterie et d'études environnementales de l'Université
Yale a affirmé que le capitalisme débridé est la principale cause
de la dégradation de l'environnement et que nous sommes parvenus au
point où la capacité de la planète à héberger la vie est
sérieusement compromise.
Mais la roue du capitalisme ne tourne pas d'elle-même et Speth
dresse la liste des complices de ce crime environnemental :
les puissantes entreprises dont le but suprême est d'amasser des
profits sans égard aux effets de leur activité sur la nature; la
poursuite des investissements dans des technologies peu ou prou
respectueuses de l'environnement; l'incapacité systématique des
marchés à prendre en compte les coûts environnementaux à moins d'y
être obligés par les gouvernements; les gouvernements serviles
envers les entreprises; la consommation débridée, aiguillonnée par
des techniques de publicité et de marketing perfectionnées; tous
ces facteurs ont contribué à porter le capitalisme et la
consommation à des niveaux de frénésie dangereux.
« Il a nous a fallu toute notre histoire pour amener
l'économie au niveau de 7 trillions où elle se situait quand
j'étais enfant, dans les années 1950 », confie-t-il. « Mais
combien de temps faut-il maintenant pour hausser d'autant la valeur
de l'activité économique? Moins d'une décennie. »Â
« Nous avons créé une immense machine économique dont la raison
d'être profonde est le profit et la croissance et qui est presque
complètement dépourvue de préoccupation pour la nature et la
société », poursuit-il. « Sans contrôle, cette machine est
impitoyable et rapace. »
Mais, selon Speth, il faudra rien de moins qu'une révolution pour
mettre ce monstre en cage. Il faudra d'abord que les gens remettent
en question le "fétiche de la croissance". » L'accumulation
insouciante de biens et de propriétés doit être freinée par une
nouvelle conception des marchés où les prix refléteraient l'impact
environnemental véritable des produits. « Le pollueur doit
payer. »      Â
En second lieu, nous devons évoluer vers un stade «
post-croissance » plus aimable caractérisé par de meilleurs
soins de santé et une meilleure éducation pour tous, des semaines
de travail plus courtes et des vacances plus longues. Citant le
philosophe John Stuart Mill, Speth déclare que nous devons
retourner au futur et recommencer à nous consacrer à l'avènement
d'un « meilleur art de vivre. » Â
« Le matérialisme est toxique pour le bonheur »,
affirme-t-il. « Nous devons aspirer à autre chose que ce mode
de vie hyperactif où nous nous épuisons comme sur un tapis
roulant. »
Bien qu'il s'empresse d'ajouter qu'il ne sait pas comment nous
pouvons y parvenir, Speth avance que le changement résultera
probablement d'une série d'événements catalyseurs. Il faudra un
puissant mouvement populaire ou une prolifération de mouvements qui
briseront le moule actuel et galvaniseront les gens. Il faudra une
crise ou l'apparence d'une crise imminente, et des dirigeants qui
n'auront pas peur de parler de sacrifices et de renoncement au
luxe; des dirigeants capable "d'articuler un nouveau récit." À la
question : « Un tel dirigeant existe-il? », Speth,
laissant percer son penchant électoral, répond : « Attendez
novembre. »
« Notre meilleur espoir de changement réside dans l'union de
ceux qui se soucient de l'environnement, de ceux qui sont épris de
justice et d'équité et de ceux qui aspirent à construire une solide
démocratie politique », confie-t-il. « L'union de ces courants
créera une force puissante et progressiste. Nous devons nous
rappeler que nous appartenons tous à une communauté de foi
partagée. Nous logeons tous à la même enseigne. Nous vivrons ou
périrons ensemble. »  Â
À la fin de sa conférence, Speth s'est adressé directement aux
étudiants dans l'auditoire et les a invités à passer Ã
l'action.
« Ce monde est le vôtre. Mettez-vous à l'oeuvre avant qu'il ne
soit trop tard. S'il y a une période dont vous devez vous inspirer,
c'est celle des années 1960 et du mouvement pour les droits civils.
Il y a eu alors des gens qui ont lutté, qui ont pris des risques.
Quarante ans plus tard, je crois que le temps est venu de mettre
nos pas dans ceux de Martin Luther King. »
« L'enjeu est trop grand pour rester dans les coulisses. »