91ÉçÇø

Conversation avec Ira Byock : L'image intentionnelle des soins palliatifs

Dr. Ira Byock

Devon Phillips (DP): Au Congrès international sur les soins palliatifs en octobre 2022, vous serez un orateur plénier sur le thème
« The Public Face of Palliative Care : The Brand We Want to be Known By » (Le visage public des soins palliatifs : l'image par laquelle nous voulons être connus). Quelle est notre « image » actuellement?

Ira Byock (IB): Nous avons une image par défaut, mais il y a beaucoup de divergences sur ce que les gens pensent que cette image est et ce qu'elle signifie. Une partie de l'histoire de l'origine des soins palliatifs en Amérique du Nord est que Bal Mount a réalisé que le mot « hospice » n'allait pas être bien accepté dans le Québec francophone et a choisi l'expression « soins palliatifs » et cela nous a bien servi. Mais maintenant, l'expression « soins de soutien » est de plus en plus utilisée comme euphémisme pour désigner les soins palliatifs, car les médecins dans notre domaine se font souvent dire que le terme « soins palliatifs » fait peur à leurs patients : « S'il vous plaît, ne mentionnez pas que vous venez des soins palliatifs lorsque vous êtes dans la pièce. Pourriez-vous s'il vous plaît dire que vous êtes avec les soins de soutien, soins de confort ou quelque chose d'autre ? ».

D'autre part, des personnes du Centre to Advance Palliative Care (CAPC) (Le Centre pour l’avancée des soins palliatifs) à New York ont réalisé une étude de marché censée démontrer que nous ne devrions jamais utiliser le terme « hospice » lorsque nous parlons aux patients. Je suis respectueusement en désaccord.

Ils ont également encouragé les médecins à ne pas utiliser les mots « mort », « mourir » ou « soins palliatifs », mais plutôt à souligner que nous sommes un niveau supplémentaire de soutien professionnel pour les personnes et leurs familles qui traversent une maladie grave.

Je comprends parfaitement l'intention de veiller à ce que l'accès à nos services soit ouvert à tous ceux qui en ont besoin et à ce qu'ils ne soient pas découragés en pensant que nous ne nous occupons que de la mort et des mourants, mais il semble que nous agissions par peur plutôt que par assurance et, franchement, par amour.

DP: Comment insuffler le concept d'agir par amour dans les soins palliatifs alors que ceux-ci suscitent tant de craintes ?
Ìý

IB: Commençons par être appelés par notre nom authentique. Nous nous sommes constitués en tant que secteur d’hospice et des soins palliatifs; nous devons nous l'approprier. Notre vocation est axée sur la vie, pas seulement sur la mort, et la mort fait partie de la vie. Beaucoup d'entre nous agissent comme si nous ne nous occupions que de la mort. En raison du manque de personnel, des contraintes de temps et de budget, etc., il se peut que nous ne puissions accepter dans nos programmes de soins palliatifs que des personnes qui sont à la limite de la vie et qui risquent fortement de mourir. Il se peut que nous ne soyons pas en mesure d'accepter toutes les personnes atteintes d'une maladie grave, y compris celles qui sont engagées dans des traitements curatifs ou des traitements visant à prolonger leur vie de manière significative et à combattre la maladie.

J'ai passé une décennie à l'école de médecine de Dartmouth et au centre médical de Dartmouth-Hitchcock. Un jour, je descendais les escaliers avec un collègue oncologue qui s'est arrêté dans l'escalier et m'a dit : « Lorsque vous êtes arrivé ici il y a trois ans, ils ont fait tout un plat de l'expansion de notre service de soins palliatifs et j'ai pensé : « pourquoi avons-nous besoin d'un autre service ? Nous faisons ce genre de choses tout le temps et ce n'est pas nécessaire. » Mais je dois vous dire qu'à l'heure actuelle, je ne me souviens plus comment nous nous occupions de ces personnes sans vous et votre équipe. » J'ai répondu : « Merci beaucoup d'avoir dit ça. Je ne peux pas dire à quel point il est gratifiant de travailler en si étroite collaboration avec vous. » Nous avons descendu quelques marches, puis il s'est retourné et m'a dit : « Est-ce que vous devez vraiment utiliser le terme « soins palliatifs »? Parce que ça donne une peur bleue aux gens. » Et j'ai dit : « Eh bien, c'est vraiment ironique. Vous voulez connaître un mot qui fait peur aux gens ? Cancer. Je changerai les mots « soins palliatifs » pour notre programme lorsque vous remplacerez « Centre de cancérologie » par « Centre de petites bosses étranges », parce que le mot cancer donne une sacrée peur aux gens ! ».

Ce que nous devons faire, c'est changer la signification des soins palliatifs. Cela ne devrait pas signifier que vous êtes en train de mourir. Cela devrait signifier que vous êtes très malade et que vous méritez le soutien supplémentaire que cette équipe spécialisée peut vous offrir, à vous et à votre famille.

DP: Donc les professionnels en soins palliatifs doivent changer intentionnellement la façon dont ils définissent et communiquent ce qu'ils font ?

IB: Dans notre centre médical, nous avons intentionnellement donné un nouveau nom aux soins palliatifs. Le terme a commencé à évoquer le fait de mériter des efforts supplémentaires en matière d'aide à la décision, de confort physique, de confort émotionnel, de soutien de la famille, d'attention à la communication, de continuité des soins, de collaboration avec les différentes équipes qui traitent les systèmes organiques et la maladie, tout cela. Nous avons donné à notre service une nouvelle signification très intentionnelle, en ne laissant pas les autres nous étiqueter en fonction de ce qu'ils pensaient être les soins palliatifs.

Le dernier livre que j'ai publié s'intitule « » (Les meilleurs soins possibles) parce que je crois fermement que c'est l’image authentique des soins palliatifs. Il ne s'agit pas d'un modèle unique. Si je ne vous rencontre pas en personne et si je ne découvre pas vos valeurs et préférences personnelles dans le contexte de qui vous êtes en tant que personne à part entière (y compris votre ethnicité, votre orientation spirituelle et votre famille) je ne peux pas vous donner les meilleurs soins possibles. Parce que j'essaie de m'occuper de votre bien-être, pas seulement de vos problèmes médicaux. Je continue de penser que « les meilleurs soins possibles » est une bonne expression pour notre image authentique. Nous rencontrons chaque personne en tant que personne unique et entière et nous adaptons le meilleur de la science et de la technologie médicales et des traitements des maladies à ses priorités personnelles. Si deux personnes ont le même âge, le même sexe et les mêmes antécédents médicaux, les meilleurs soins pour l'une peuvent ne pas convenir à l'autre. Les soins optimaux doivent être hautement personnalisés.

DP: Que peut faire la communauté des soins palliatifs pour transmettre ce message et cette image de « meilleurs soins possibles » ?

IB: À l'heure actuelle, il n'existe aucun consensus sur la signification du terme « soins palliatifs ». Nous devons donc d'abord nous rassembler autour d'un engagement à donner un sens nouveau et positif au terme « soins palliatifs » et, aux États-Unis, à inclure les soins d'hospice, sans laisser les autres nous définir. Notre message doit constamment venir d'un sentiment d'amour, d'acceptation et d'accueil de toute forme de vie, et non d'un sentiment de peur, de dissimulation ou d'évitement.

Une partie de ma propre contribution aux cadres conceptuels de notre domaine a été d'explorer le phénomène du bien-être humain jusqu'à la fin de la vie, car la médecine dans le monde occidental est étroitement liée et limitée par les problèmes et leurs solutions. Nous devons accepter la plénitude de la vie humaine, y compris les étapes de la vie où la maladie, les soins et la mort sont des éléments difficiles mais normaux d'une vie pleine et saine, même. Dans cette vision plus anthropologique de la plénitude de la vie humaine, ce que nous faisons dans le domaine des soins palliatifs est de vous fournir les meilleurs soins possibles jusqu'à la fin de votre vie. Jusqu'à présent, parce que nous n'avons pas fait de cela notre image, nous sommes connus par les hypothèses des autres et leurs attentes projetées à notre égard.

DP: Depuis de nombreuses années, vous êtes une figure importante du Congrès international sur les soins palliatifs. En 2022, vous serez un orateur plénier. Le Congrès vous soutient-il dans la construction de cette image des soins palliatifs que vous décrivez ?

IB: Oui. Le Congrès est un événement véritablement international qui réunit des leaders d'opinion du monde entier pour apprendre ensemble, partager des connaissances de pointe et s'attaquer ensemble aux défis transversaux que beaucoup d'entre nous rencontrent dans nos pays et communautés respectifs. Ce congrès a été pour moi le foyer clinique le plus important que j'ai eu dans ma formation de prestataire de soins palliatifs. Je trouve que le Congrès international de Montréal a été à la fois énergisant et vivifiant et qu'il a été une source énorme de stimulation, de camaraderie et d'amitié au cours des nombreuses décennies.

DP: Le programme du Congrès international sur les soins palliatifs se met en place de manière très satisfaisante pour 2022 et nous attendons avec impatience votre séance plénière. Avez-vous un dernier message ou une dernière réflexion à partager avec nos lecteurs ?

IB: Je tiens à souligner que chaque patient est une personne à part entière, capable de souffrir mais aussi de se sentir bien. Il ne s'agit pas de psychologie populaire, mais d'anthropologie fondamentale. Il nous incombe non seulement de soulager la souffrance, mais aussi de maintenir ouvert le potentiel de développement individuel et collectif des personnes en fin de vie.

Si nous nous approprions cela et affirmons à nos collègues que c'est ce que nous sommes, nous commencerons à nous appeler par notre nom authentique. C'est ainsi que les gens commenceront à nous voir comme nous aimerions être vus et à agir conformément à ce que nous sommes.

Si nous voulons prodiguer les meilleurs soins possibles, nous devons mettre tout notre être au service de la globalité de la personne du patient. Au lieu de ressentir la détresse morale que nous ressentons actuellement en tant que médecins, nous pouvons commencer à nous sentir gratifiés par les liens profonds que nous avons avec les personnes que nous servons. Cela nous ramène à notre point de départ. Dans le livre "" (Le mouvement des hospices : Une meilleure façon de prendre soin des mourants), Sandol Stoddart parle des hospices comme de lieux où les gens sont chéris et rafraîchis, un lieu d'accueil et un environnement aimant. Elle affirme que l'hospice est une transaction intime entre êtres humains dans une communauté. Il est temps de réaffirmer que c'est ce que nous faisons, que la médecine, la science et la technologie sont les outils que nous utilisons, mais que ce que nous faisons, c'est une transaction intime entre des personnes à part entière vivant dans des communautés au service les unes des autres.

Cette entrevue a été modifiée par souci de clarté et de concision.

Le Dr Byock sera l'un des orateurs de la séance plénière, aux côtés des Drs Hsien Seow et Samantha Winemaker qui animent la « » (La révolution des salles d’attente) et du , qui anime « Solving Healthcare » (Résoudre les problèmes de santé) [lien : , sur le « The Public Face of Palliative Care : The Brand We Want to be Known By » (Le visage public des soins palliatifs : l'image par laquelle nous voulons être connus), lors du Congrès international sur les soins palliatifs qui se tiendra à Montréal du 18 au 21 octobre 2022.

Ìý

Back to top