91ÉçÇø

Explorer l’invisible : le point de vue du professeur Robert Nason sur l’entrepreneuriat informel en Afrique

Dans cette foire aux questions exclusive, le professeur nous plonge dans ses recherches révolutionnaires sur l’entrepreneuriat informel en Afrique. Ses travaux portent sur les activités économiques uniques dans les townships du Cap, en Afrique du Sud, ainsi que sur l’évolution du rôle des « reines du marché » au marché Kejetia, au Ghana. Ils remettent en question les points de vue traditionnels sur l’entrepreneuriat. M. Nason collabore avec des équipes de recherche internationales et des organisations locales, comme la Sustainable Livelihood Foundation, pour mettre en lumière le paysage entrepreneurial dynamique, mais souvent méconnu d’Afrique.

Parlez-nous un peu de la nature de vos travaux de recherche en Afrique (p. ex., pays étudiés, sujets traités, collaborations, universités partenaires, financement).

Par mes recherches, je tente globalement de comprendre comment les organisations informelles façonnent l’activité entrepreneuriale en Afrique. Je mène ces recherches principalement dans les townships du Cap, en Afrique du Sud, où nous tentons de comprendre la nature unique des activités économiques largement informelles qui s’y déroulent. Je travaille au sein d’une équipe de recherche dont les membres proviennent des quatre coins du monde, et nous collaborons avec la , une organisation sans but lucratif locale. Celle-ci accomplit un travail remarquable afin de recueillir des données sur les activités économiques largement invisibles dans les townships et collabore avec nous à l’élaboration de solutions aux défis rencontrés par ceux et celles qui souhaitent se lancer en affaires.

Je travaille aussi à un autre projet dirigé par Arielle Newman, professeure à l’Université de Syracuse et coauteure, dans lequel nous examinons l’évolution de l’influence des « reines du marché » au marché Kejetia, au Ghana.

Que trouvez-vous le plus stimulant dans cette collaboration?

Je trouve passionnant de tenter de comprendre un type d’activité entrepreneuriale complètement différent de ce que l’on connaît et enseigne généralement. Même si le style d’entrepreneuriat de Silicon Valley domine dans le discours public, il est important de reconnaître que l’entrepreneuriat peut prendre diverses formes : bureau de dentiste ou de médecin, art, activisme, service de taxi ou commerce de rue informel. De plus, s’il est vrai que la plupart des gens riches sont dans le milieu des affaires (75 % des gens qui figurent dans le premier percentile des personnes les plus riches au monde possèdent et gèrent activement une entreprise privée), la réalité est que la plupart des entrepreneurs et entrepreneures sont pauvres. Si nous voulons réellement comprendre le phénomène de l’entrepreneuriat, nous devons explorer en profondeur ses manifestations courantes. Je souhaite que l’on s’intéresse davantage à la question dans le milieu de la recherche et j’aspire à creuser les sujets comme l’entrepreneuriat dans les townships. Voici des questions que je me pose : à quoi ressemble l’innovation dans ces quartiers? Quels sont les défis rencontrés par les entrepreneurs et entrepreneures? Qu’est-ce qui est important pour eux? Quels facteurs influencent leurs décisions stratégiques? Tenter d’y répondre nous force à revoir bon nombre des principes dominants sur la stratégie et l’entrepreneuriat dans la littérature existante, qui se fonde largement sur l’étude d’un ensemble restreint d’entreprises occidentales.

Que vous ont appris les données recueillies sur les sujets étudiés?

Notre étude la plus récente sur l portait sur la visibilité. Dans la recherche et l’enseignement sur l’entrepreneuriat dans le monde occidental, on tend à croire que plus une entreprise est visible, mieux elle se porte. Les jeunes entreprises qui éprouvent des difficultés tentent de paraître plus prospères qu’elles ne le sont en réalité. Dans les townships, le fait d’être visible comporte des risques réels, et surtout le fait d’être visiblement prospère. Vous pouvez devenir la cible de descentes policières, de cambriolages ou d’une expropriation par les gangs de rue. Nous avons étudié la question et, à partir de nos données, avons avancé l’idée d’une visibilité sélective. En effet, les entreprises veulent être visibles auprès des groupes qui sont bénéfiques pour elles, tout en se cachant de ceux qui pourraient leur faire du tort. Cette information a des répercussions très importantes. Elle révèle que l’adoption d’une approche fondée sur une conception occidentale de la visibilité dans un contexte comme celui des townships, par exemple dans le cadre de programmes de formation en entrepreneuriat, est problématique et risque de mettre les entrepreneures et entrepreneurs locaux en danger. Cette situation illustre la nécessité, d’une part, d’adopter une approche qui tient compte du contexte et, d’autre part, de remettre en question les postulats existants au moment de concevoir des initiatives de développement entrepreneurial et économique en Afrique.

Nos nous ont également permis de tirer une autre conclusion importante : les facteurs qui façonnent l’activité entrepreneuriale sont souvent très différents de ce que nous observons au Canada ou en Amérique du Nord. Par le passé, de nombreux travaux définissaient des endroits comme l’Afrique en fonction de leurs lacunes (par exemple en les qualifiant de vides institutionnels). S’il est vrai que les infrastructures juridiques et les marchés des capitaux y sont peu développés, ils possèdent néanmoins un tissu institutionnel incroyablement riche, qu’il s’agisse de la famille, de la collectivité, de l’héritage tribal ou des traditions religieuses. Ces facteurs jouent un rôle essentiel dans notre compréhension et notre perception de la nature distincte de l’activité entrepreneuriale en Afrique. En recherche, c’est ce que nous appelons une approche fondée sur la présence et non sur l’absence dans des contextes comme l’Afrique, qui ont été sous-représentés par le passé dans notre champ d’études.

J’ai aussi participé à un épisode de Delve à ce sujet. J’y parle un peu de mon travail dans les townships, mais pas exclusivement.

Les étudiants et étudiantes ou les diplômés et diplômées peuvent-ils contribuer à vos travaux? Si oui, comment?

Plusieurs étudiants et étudiantes au doctorat et au Programme d’études en gestion intégrée de l’Université 91ÉçÇø ont déjà contribué à ces travaux. Cependant, je ne suis pas certain de pouvoir y faire participer de nouvelles personnes de manière simple et rapide. Je serais néanmoins heureux d’entrer en contact avec des étudiants et étudiantes ou des personnes diplômées qui s’intéressent à ce domaine ou y jouent un rôle actif. Je suis certain que je pourrais apprendre beaucoup de leurs travaux!

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