Puis, les choses ont changé. Ma mère a été hospitalisée d’abord pour un épisode d’état confusionnel, puis pour une fracture de la hanche consécutive à une chute. Heureusement, elle s’est rétablie et a été transférée dans un CHSLD pour y recevoir des soins de réadaptation.
Au même moment, ma sœur, atteinte d’un cancer des ovaires depuis plus de trois ans, a été admise dans un autre hôpital pour des problèmes respiratoires. En fait, son cancer avait progressé et elle est passée des soins actifs aux soins palliatifs.
Simultanément, la COVID-19 exerçait déjà ses ravages en Asie et dans certaines parties de l’Europe. Ici, nous n’en faisions pas encore les frais. Nous vivions encore ce que j’appelle maintenant le statu quo des dernières années : une longue période dans notre système de santé où les gouvernements ont systématiquement réduit nos services, avec un public en grande partie inconscient des conséquences. Une période où des patients, du personnel infirmier et d’autres personnes tentaient de se faire entendre, mais sans grand résultat. Une période où la productivité l’emportait sur l’humanité dans nos institutions, une période où tout le monde semblait recevoir ses ordres directement du ministère.
La situation me semblait désespérée. J’ai surmonté mes sentiments en étant omniprésente pour ma mère et ma sœur, en veillant à ce qu’on subvienne à tous leurs besoins et à ce que leurs voix soient entendues par les équipes de soins. Je voulais simplement assurer leur sécurité et, surtout, qu’elles soient traitées avec dignité, comme des êtres humains. J’ai réussi à ramener ma mère du CHSLD à sa maison de retraite, où elle vit. J’ai aidé ma sœur à quitter l’hôpital, à revenir chez elle, avant d’entrer dans une résidence de soins palliatifs où elle est décédée paisiblement, sans être atteinte de COVID-19.
Au fil de mon histoire personnelle de santé, bien sûr, tout a changé avec la COVID-19. Nous étions tous plongés dans cette nouvelle réalité terrifiante. Notre système de santé a sombré dans le chaos et, à l’échelle de la province, du pays et du monde, nous avons tous dû faire de notre mieux avec les moyens à notre disposition. Tous les défauts invisibles de notre système de santé ont soudainement été exposés au vu et au su de tous, et pas seulement du personnel soignant et des patients.
Mes amis intimes me disent que c’est une bénédiction d’être une infirmière, surtout en ce moment, et je le crois plus que jamais. J’ajouterais une mise en garde : si le Québec et le reste du monde s’attendent à avoir des infirmières et du personnel infirmier pour prodiguer les soins que toutes et tous méritent tant, les choses doivent changer. L’éducation, les connaissances et les voix des infirmières et infirmiers doivent être visibles et respectées à nouveau.
Qu’est-ce que je cherche à communiquer aujourd’hui? Premièrement, malgré son importance comme indicateur, la productivité ne peut être le seul résultat mesuré. Deuxièmement, le personnel infirmier veut que ses droits soient respectés. Pourquoi? Pour pouvoir fournir les soins que nos patients méritent et pour lesquels ils paient. Des soins experts et empreints de compassion qui ne sont pas prodigués à la hâte, qui reposent sur des données probantes et qui sont véritablement axés sur nos patients et leurs besoins, et non sur ceux du système. Troisièmement, nous sommes présents, jour et nuit, en semaine et les jours fériés. Notre expertise, lorsqu’elle est bien utilisée, est essentielle à la sécurité, au bien-être et au confort des patients.
Il est difficile d’imaginer que quelqu’un reste insensible à l’état de dégradation des hôpitaux et des établissements de soins. Si je suis horrifiée par ce que j’ai entendu et vu, je n’ai malheureusement pas été surprise. Voilà de nombreuses années que les infirmières et infirmiers réclament une meilleure formation, de meilleurs ratios patients-personnel infirmier et de meilleures conditions pour nos patients. Nous nous battons pour vivre pleinement notre champ d’exercice, comme le reconnaît la loi.
Maintenant que notre système de soins de santé est au cœur de l’actualité et que toutes ses failles sont apparentes, j’implore le personnel infirmier et les autres travailleurs de la santé de faire preuve de leadership et de parler en chœur, d’exposer clairement notre message et de défendre les intérêts de nos patients. Parlons plus fort, à l’unisson et avec plus de cohésion. Comme le disait si bien la Pre Judith Ritchie, une de mes idoles et mentors : « Ne ratez pas ce qui est bon en attendant la perfection… »; il serait peut-être plus juste de dire ne pas « gaspiller » ce qui est bon.
Peut-être que le bienfait invisible de la COVID-19 sera une voix renouvelée et unifiée du personnel infirmier pour le bien de nos patients.
Ěý